L'OBSERVATION PARTICIPANTE
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LA METHODE ETHNOGRAPHIQUE,
présentée par Georges Lapassade



L'OBSERVATION PARTICIPANTE





Introduction

Bogdan et Taylor(1975) définissent comme suit l'observation participante :

"une recherche caractérisée par une période d'interactions sociales intenses entre le chercheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers. Au cours de cette période des données sont systématiquement collectées(...)"

Les observateurs s'immergent personnellement dans la vie des gens. Ils partagent leurs expériences. L'expression "observation participante" tend à désigner le travail de terrain en son ensemble, depuis l'arrivée du chercheur sur le terrain, quand il commence à en négocier l'accès, jusqu'au moment où il le quitte après un long séjour.

Au cours de ce séjour, les "données collectées" viennent de plusieurs sources et notamment : "

- l'observation participante" proprement dite (ce que le chercheur remarque, "observe" en vivant avec les gens, en partageant leurs activités);

- les entretiens ethnographiques; les conversations occasionnelles de terrain;

- l' étude des documents officiels et surtout, des "documents personnels" (ce terme désigne "les matériaux" dans lesquels les gens révèlent avec leur propre langage leur point de vue sur leur vie entière, ou une partie de leur vie, ou quelqu' autre aspect d'eux-mêmes. Il s'agit des journaux personnels, lettres, autobiographies).


I. La préparation de l'enquête et la négociation d'accès au terrain

Le chercheur doit d'abord choisir son sujet d'étude ou son terrain (il peut aussi n'avoir pas à le choisir s'il s'agit d'une commande d'enquête). Il doit aussi préparer son enquête (problèmes de méthodologie à prévoir à, etc).
Il ne va pas formuler des hypothèses au départ , -les "hypothèses" (si l'on tient à conserver ce terme) vont émerger progressivement au cours de l'enquête: Adler et Adler (1986) décrivent plusieurs manières de négocier l'entrée, de s'introduire dans la périphérie d'une situation et de se faire des relations utiles pour la recherche :

-certains passent par ceux qui ont le pouvoir statutaire de vous faire admettre dans une institution, peuvent vous en ouvrir les portes.On les appelle "Gatekeepers". Marquart (1983) qui voulait effectuer une étude dans une prison québécoise, fût introduit dans la place par un gardien de prison dont il avait connaissance au cours d'un stage de formation. De même , de nombreuses interventions socianalytiques trouvent de même leur première origine dans la rencontre entre un socianalyste et un membre d'une institution à l'occasion d'un stage, d'une conférence, ou d'un enseignement à l'université.

- F.W. Whyte trouva "l'entrée" de son terrain, -la rue, les gens d'un quartier italien de Boston - grâce à un travailleur social de "Cornerville" qui lui présenta Doc, le chef d'une bande de jeunes qui devait l'introduire dans cette bande et dans le quartier tout entier (Whyte 1955).

- un autre type de relations facilitatrices a été décrit par Hoffman (1980) à propos d'une étude des cadres médicaux d'hôpitaux du Québec. Elle avait d'abord commencé par les méthodes traditionnelles de négociations d'accès au terrain: les lettres d'introduction, les conversations téléphoniques, les rendez-vous pour des entretiens). Mais elle n'était pas satisfaite par les résultats obtenus jusqu'au jour où, de manière imprévisible, elle fût aidée par ses origines sociales : elle appartenait à l'élite de la société et c'était là son atout fondamental, découvert par hasard au cours d'un entretien avec un dirigeant qui se trouvait être un ami de sa famille. Cette circonstance transforma la situation initiale de telle sorte qu'à partir de ce jour, la qualité des < entretiens menés par Hoffman changea complètement: elle entra véritablement dans la recherche déjà engagée.

On notera ici l'ambiguité de la notion ethnographique d'entrée ou d'accès au terrain: tantôt ce terme, "entrée", désigne la permission formelle d'accès, et tantôt le même terme concerne le moment où est acquise la confiance de membres qui acceptent de s'ouvrir réellement à l'enquêteur.


II. Les rôles du chercheur dans l'observation participante

Quel rôle le chercheur participant peut-il assumer sur le terrain? Cette question est devenue centrale dans la littérature ethnographique dès que les ethnographes ont commencé entre 1950 et 1960, à réfléchir aux fondements de leur pratique.

1. R.L. Gold, Adler et Adler.

L'un des premiers à traiter la question fût probablement R. L. Gold (1958) dans un article qu' il consacra, précisément, aux rôles de l'ethnographe dans le fieldwork sociologique à la suite de l'étude commencée à Chicago en 1950 par Bufor Junker, étude à laquelle il participa. GoLd distingue "l'observateur complet", "l'observateur en tant que participant", "le participant en tant qu'observateur" et le "participant complet", -catégorisant ainsi des attitudes de l'implication minima à l'implication maxima. Ces catégories ont été reprises et développées par Junker (1960). Adler et Adler (1987) ont repris et modifié la catégorisation de Gold.

Parler du rôle du chercheur, de son degré d'implication, de sa manière de participer (qui peut évoluer en cours de travail) c'est décrire le fieldwork lui-même à partir de sa référence centrale: le chercheur, dans sa relation à la situation.

2. La question du "masque".

En général, le chercheur annonce la couleur : il révèle aux gens son identité professionnelle (overt researcher). Mais il arrive parfois qu'il la dissimule: on parle alors de "covert researcher", expression qu'on peut traduire par "observateur caché ou clandestin". On a utilisé à ce propos la notion de "stratégie entriste", au sens strict, l'entrisme signifie que celui qui entre dans une organisation n'indique pas la finalité réelle de son "adhésion". Toutefois, cette notion d'entrisme pourrait aussi s'appliquer, par extension, à toutes les formes d'observation participante aussi bien "déclarée" "ou masquée".

L'observation masquée a été illustrée récemment par enquêtes dont les auteurs ont pris le rôle (le masque) :

- d'un S.D.F. (Sans domicile fixe);

- d'un travailleur turc immigré en Allemagne (tête de truc);

- d'une militante d'un parti (FN) qui ignorait sa véritable identité de journaliste, pour mener à bien leur enquête.

Dans la littérature sociologique plus classique, on peut citer les recherches "masquées" de D. Roy (1959) en milieu industriel et de M. Dalton (1959) pour les cadres moyens. On peut considérer comme un cas d'identité non déclarée ce qui se passe dans des enquêtes menées dans des lieux publics. Parmi les plus célèbres figuraient, entre autres, celles de Goffman sur les comportements des gens dans la vie quotidienne.

Par contre quand il pratique l'ethnographie dans des institutions, le chercheur, en général, décline son identité professionnelle. Le choix d'un rôle dépend, en partie du moins, de la situation.

Les deux approches présentent des avantages et des inconvénients. La dissimulation du chercheur (de ses objectifs, de sa profession, de sa véritable activité) pose de sérieux problèmes d'ordre éthique. Certains chercheurs rejettent l'observation cachée parce que, disent-ils, elle rend le terrain impraticable pour d'autres sociologues. D'autres chercheurs l'acceptent. Mais beaucoup d'observateurs "déguisés" ne peuvent contrôler sur le terrain leur anxiété; ils sont en état permanent de tension à l'idée d'avoir à dissimuler jusqu'au bout leur véritable identité de chercheur .

On peut considérer que toute recherche est plus ou moins déguisée: aucun chercheur n' avoue directement tous les buts de son enquête. Dans l'ouvrage qu'ils consacrent à la sociologie qualitative,Schwartz et Jacobs (1979) remplacent la notion de "covert role" par "the unknown observer", -l'observateur "inconnu"; ce peut être aussi bien "l'espion" (a spy) que le "membre naif" (a naive member), qui est déjà membre du groupe étudié avant de faire une recherche participante sur ce même groupe.

3. Trois degrés d'appartenance, trois formes de "rapport" au terrain".

Patricia et Peter Adler, sous le titre: Membership roles in field Research (1987) présentent trois types d'appartenance : l'appartenance périphérique (peripheral Membership), l'appartenance active (complete Membership).

a) L'observation participante périphérique.

Les chercheurs qui choisissent ce rôle -ou cette identité-, considèrent qu'un certain degré d'implication est nécessaire, indispensable pour qui veut saisir de l'intérieur les activités des gens, leur vision du monde. Ils participent suffisamment à ce qui se passe pour être considérés comme des "membres" sans pour autant être admis au "centre" des activités. Ils n'assument pas de rôle important dans la situation étudiée.

Le caractère "périphérique" de ce premier type d'implication trouve son origine, d'abord, dans un choix d'ordre épistémologique: certains chercheurs estiment que trop d'implication pourrait bloquer chez eux toute possibilité d'analyse. E.C. Hughes appelle "émancipation" (Chapoulie 1984: 598, note 48), une démarche dans laquelle le chercheur trouve "un équilibre subtil entre le détachement et la participation". Chapoulie, qui commente cette définition de Hughes, conforme à la tradition classique de Chicago-, la reprend à son compte et considère que cette prudence méthodique est le prix à payer pour rester sociologue dans l'aventure de la "participation" (un terme, qu'il préfère remplacer, toujours avec Hughes, par observation directe, ou in situ).

Une seconde source de l'implication périphérique tient au fait que le chercheur ne souhaite pas participer à certaines activités du groupe étudié, comme cela se produit avec certains groupes déviants. < En outre, la participation aux activités centrales, avec implication plus profonde par conséquent, peut être exclue par certaines caractéristiques démographiques du chercheur comme l'âge, le sexe, la race, la religion, la classe sociale, etc. ou encore par son propre système de valeurs.

Ce fût le cas pour Peskin (1984) lors de sa recherche concernant un groupe chrétien fondamentaliste dont il partagea plusieurs activités quotidiennes, vivant chez eux, participant à leurs compétitions sportives... Sa marginalité incontournable tenait au fait qu'étant lui-même de religion juive il ne pouvait partager leurs convictions religieuses.

Pour Horowitz (1983) les limites à l'implication tenait à son âge, à ses habitudes vestimentaires et à sa non participation aux activités sexuelles ou dangereuses du groupe qu' elle étudiait; les membres de ce groupe l'appelaient "lady" et plus tard "lady reporter"; elle était vue comme le chroniqueur du groupe.

Le fait d'écrire, de préparer un livre, notamment, parfois même d'être vu comme un "journaliste" peut faciliter l'accès à la vie d'un groupe tout en produisant des attentes, des obligations diverses, etc).

En général, la position de type OPP implique des contacts quotidiens ou semi-quotidiens. Ces chercheurs peuvent parfois héberger des membres du groupe étudiéchez eux: Adler et Adler lorsqu'ils étudiaient le monde de la drogue, fournissaient un asile provisoire, chez eux, à des dealers à la sortie de prison. Ils s'efforçaient en même temps, comme "Lady" Horowitz, de conserver une certaine distance; ils entraient librement dans le groupe et en sortaient à leur gré, -et cette présence sporadique limitait les attentes du groupe à leur égard. Une proximité potentielle trop grande pourrait rendre le chercheur trop disponible pour un éventuel "recrutement" de la part du groupe.

b) L'observation participante active.

Parfois le chercheur s'efforce de jouer un rôle et d'acquérir un statut à l'intérieur du groupe ou de l'institution qu' il étudie. Ce statut va lui permettre de participer activement aux activités comme un membre, tout en maintenant une certaine distance: il a un pied ici et l'autre ailleurs.

Laurence Wieder (1974) a tenté de pratiquer l'observation participante dans un centre de transit (Halfway House) hébergeant des jeunes ex-prisonniers, arrêtés pour des affaires de drogue, et libérés sur parole (en liberté provisoire et sous contrôle). Il s'est heurté, très vite, au fait que ces jeunes classaient les gens en deux catégories opposées: ceux qui étaient de leur monde, et les autres, qui tous étaient vus comme des ennemis : parmi eux figuraient les psychologues, les éducateurs, les sociologues, et,par conséquent Wieder lui-même. Ce dernier aurait pu passer dans leur camp, comme cela lui fut proposé . Mais, il était lié par un contrat avec l'administration pénitentiaire qui assumait les frais de cette recherche; ensuite, s'il avait basculé dans l'autre camp il n'aurait pu étudier l'institution en son ensemble, avec ses gardiens et psychologues. Enfin comme cela arrive fréquemment, les valeurs de Wieder n'étaient pas celles des ex-prisonniers, ce qui est une limite courante sur le chemin d'une participation "totale" à la vie des groupe marginaux.
La participation des chercheurs aux groupes marginaux reste, en général, périphérique.

Cependant, Wieder a su tirer parti du rejet dont il fut l'objet de la part des résidents de ce centre.. Ils le rejetaient, ou plus précisément ils refusaient de lui parler (de manière trop intime) sur la base et par l'effet d'un "Code des prisons" qui était précisément l'objet de son étude. Faisant de nécessité vertu, Wieder a transformé l'obstacle en analyseur. Il en a fait l'un des moyens d'analyse de la production du "convict code" (Wieder 1974).

Un problème se pose quant à l'observation participante active, en particulier dans les établissements d'éducation.
Comment pratiquer une ethnographie vraiment "participante" active, en évitant de "participer" à des changements, ou même de les provoquer? L'observateur participant actif risque d'introduire d'autres valeurs dans la situation qu'il étudie. Dans une école ou dans un lycée,par exemple, il pourra présenter de par son mode d'action "permissif", un modèle pédagogique alternatif, ce qui est une forme d' intervention et susceptible de changer la situation. Faut-il définir la participation active comme une intervention qui ne dirait pas son nom?

c) L'observation participante complète.

La "participation complète", se subdivise elle-même en deux sous-catégories :

- une participation complète par opportunité où le chercheur met à profit l' "opportunité" qui lui est donnée par son statut déjà acquis dans la situation. Le chercheur, ici, est d'abord membre de la situation.

- une participation complète par conversion. Adler et Adler font référence, à ce propos, à l'ethnologie. Ils citent Carlos Castaneda qui quitte l'Université, change de personnalité au contact de son "gourou"le sorcier yaqui" Don Juan, et de Benetta Jules-Rosette; partie pour étudier les Bapostolo d'Afrique et qui se convertit à leur contact, adopte leur religion (Jules Rosette 1976). Cette dernière forme de participation est mise par Adler et Adler au compte de la recommandation ethnométhodologique qui demande au chercheur de "devenir le phénomène qu'ils étudient" (becoming the phenomenon )(Mehan et Woods 1975).

Cette notion de "participation complète" met ensemble deux types de chercheurs tout à fait hétérogènes:

- des chercheurs qui sont déjà, de par leur statut, dans la situation qu'ils étudient ( qui travaillent en institution en tant qu'enseignants dans un établissement ou "dans la rue en tant que travailleurs sociaux) et qui, de praticiens, deviennent chercheurs;

- des ethnologues professionnels, ou en voie de professionnalisation (préparant une thèse) qui eux poussent à l'extrême la participation, jusqu'à une participation-fusion par "conversion". Mais ces derniers viennent du dehors, alors que les enseignants et les travailleurs sociaux (entre autres) qui deviennent chercheurs sont déjà dans la situation.


III. Observateur participant externe et observateur participant interne

L' opposition entre le dedans et le dehors traverse l'ensemble des travaux contemporains sur l'observation participante; mais elle n'est pas suffisamment systématisée. Pour clarifier ce point nous proposerons une nouvelle manière d'articuler les rôles des observateurs-participants.

On va distinguer deux rôles, qui ne sont pas en général présentés comme tels dans la littérature ethnographique: celui de l'observateur participant externe (OPE.), d'une part, et celui de l'observateur participant interne (OPI.), d'autre part :

- L' OPE vient du dehors, et c'est la condition habituelle du chercheur, car il vient pour un temps limité, le temps de sa recherche, il sollicite l"'entrée", reste là pendant quelques mois, -rarement davantage-, et à temps partiel, conserve d'autres rôles à coté, puis quitte le terrain et rédige sa thèse, ou son rapport;

- l ' OPI , au contraire, est un chercheur qui est d'abord "acteur" dans une institution où il exerce une fonction. Et il lui faut faire alors le chemin inverse de l'OPE : alors que l'observateur participant externe (OPE) a d'abord un rôle défini, statutaire, de chercheur et qu'il doit, pour un temps, s'installer dans un rôle d'acteur (de "participant"), l'OPI part d'un rôle permanent et statutaire d'acteur et il lui faut, accéder au rôle de chercheur.


IV. Participation et distanciation

Les typologies de l'observation participante avec ses divers degrés d'implication sont traversées par une question permanente et qui n'a pas reçu encore, à ce jour, de réponse pleinement satisfaisante: comment concilier la nécessité méthodologique de l'implication dans la vie d'un groupe ou d'une institution avec le recul nécessaire, au métier de sociologue? Comment éviter de devenir soi-même un "indigène" (going native)?

Cette question, naturellement, cesse de se poser dans le cas de la participation "complète" par "conversion", qui suppose l'immersion totale par laquelle on devient membre à part entière. Mais, mis à part ce cas limite, la question reste posée, et elle a sa place dans tous les manuels d'ethnographie.

La nécessité de conserver une certaine distance -d'ailleurs inévitable-, y est constamment invoquée, peut être pour donner des gages de sérieux méthodologique. Il ne faut pas oublier à ce propos que les tenants de la tradition ethnographique ont dû faire face aux critiques des autres sociologues, qui se présentaient comme les seuls chercheurs aptes à donner des gages crédibles de rigueur scientifique. Placés sur la défensive, les ethnographes ont dû se placer sur le même terrain de la scientificité et riposter dans les mêmes termes. En 1958 Howard Becker parlait de "vérification des hypothèses" selon le modèle central de la sociologie positiviste. C'est seulement en 1967 que Glaser et Strauss ont fondé l'autonomie d'une démarche ethnographique qui produit ses hypothèses chemin faisant. (Glaser et Strauss 1967)

L' opposition et la tension entre "participation" et "distanciation", trouve une autre source dans la tradition ethnographique de Chicago.

Au début de ce siècle, nombreux étaient les étudiants en sociologie de cette université qui étaient aussi des travailleurs sociaux ou qui se préparaient à le devenir. Ils devaient, tout comme les enseignants chercheurs qui préparent à l'Université un doctorat sur leur pratique institutionnelle, effectuer un passage de la participation totale aux situations qu'ils vivaient, notamment avec des jeunes marginaux-, ils devaient passer à l' "observation". Leur pratique passée ou en cours devenait un objet de recherche. Les jeunes marginaux dont ils s'occupaient n'étaient plus seulement objet d'intervention sociale. En accédant au rôle, nouveau pour eux, de chercheurs, ils devaient conquérir une "distanciation" à partir d'une position initiale, et non professionnelle, de "participation" complète, d'immersion dans leur "terrain" qui avait été d'abord "territoire" d'intervention : la rue. Le débat théorique sur "participation et

distanciation" serait ainsi la transposition académique d'une problématique de recherche de recherche-action (de recherche à partir d'une action sociale).


V. Observation participante et recherche action.

Dans l'ouvrage intitulé Fieldwork, Bufor Junker (1960) écrit :

"le fieldwork, tel qu'il .est pratiqué occasionnellement ou de manière routinière dans l'éducation, dans le travail social et en d'autres entreprises concernant les relations humaines est caractérisé par le fait qu'il est concerné par la contribution à la connaissance" (c'est à dire par la recherche fondamentale visant à produire un pur savoir), sa visée directe étant au contraire de "changer les gens, ou les situations, ou les deux".

Un peu plus loin (page 2) Junker ajoute ceci :

"Dans cet ouvrage on va s'occuper seulement de fieldwork dans son rapport avec la science sociale, -c'est à dire avec la tâche consistant à observer, enregistrer et rapporter le comportement des gens dans la situation contemporaine sans l'intention de les changer ou de changer les situations dans lesquelles ils se trouvent...Le fieldwork ainsi défini est concerné entièrement par l'avancement de la connaissance dans les sciences sociales".

Junker, on le voit, sépare rigoureusement l'ethnographie et la recherche action. On trouve une position opposée dans un ouvrage plus récent, consacré aux méthodes de la recherche qualitative (Deslauriers 1987), ouvrage dans lequel l'un des auteurs, André Fortin, affirme que "depuis les années soixante" on parle désormais de l'observation participante dans un contexte de recherche action, de sociologie engagée ou de travail social.

Plus loin, le même auteur souligne "la différence entre l'observation participante traditionnelle" (celle de Junker?) dans laquelle la diffusion des résultats de la recherche "est uniquement savante" et la recherche action, où, grâce à une diffusion plus populaire, en particulier dans le milieu concerné, on espère avoir une influence sur le cours des choses". En d'autres termes, la démarche de l'observation participante a pour finalité principale la constitution d'une connaissance à visée interactionniste: cette connaissance est retournée en feed back aux membres d'un groupe social; elle devient outil de changement.

Il est intéressant de relever enfin le voisinage de l'observation participante et de la recherche action dans l'ouvrage que W. F. Whyte a publié au soir d'une longue carrière sous le titre: Learning from the field (Whyte 1985). Le chapître dix de cet ouvrage est consacré à la description de trois "types de recherche action appliquée" classés par ordre d'implication croissante du chercheur. La description se fonde sur des situations de recherche action dont l'auteur a été, souvent, l'animateur principal (il reprend à ce propos la notion française de "l'animation sociale"). < On lit dans ce même ouvrage, que Whyte participa aux sessions d'été du NTL de Bethel, dans le Maine, organisées par les disciples de Kurt Lewin à partir de 1947 sur la base des célèbres T. Groups (on évitera ici la confusion entre White, assistant de Lewin, et W. F. Whyte). Or ces sessions et ces T. Groups ont constitué le haut lieu de la recherche action selon l'orientation fondée par Kurt Lewin à peu près dans le temps où W. F. Whyte menait son enquête par observation participante, chez les jeunes du quartier italien de Boston.

Au cours d' une longue carrière, qui s'est étendue sur un demi-siècle, Whyte a probablement consacré plus de temps à la recherche action avec observation participante qu'à l'observation participante comprise en un sens plus traditionnel, c'est à dire par l'immersion dans le milieu telle qu'il l'a pratiquée au début de sa carrière, (entre 1936 et 1940, parmi les jeunes du "coin de la rue". Mais comme son nom est resté attaché surtout à la publication de son grand livre des débuts, Street Corner Society, on oublie l'autre aspect de sa carrière. Mais s'agit-il d'un aspect vraiment différent? Ce n'est pas si sûr: dans le livre de 1985, Whyte rappelle qu'il est allé enquêter dans le quartier pauvre italien de Boston parce qu 'il était réformiste. Il voulait changer la société - comme d'ailleurs tous les pionniers de l'ethnographie sociologique dans les débuts de l'Ecole de Chicago.

Ce rapport entre l'ethnographie participante et la recherche-action constitue un problème peu étudié. Il n'est pas abordé, en général, dans les manuels de sociologie qualitative. C 'est pourtant un des problèmes fondamentaux du fieldwork aujourd'hui.



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